Un #RDVAncestral au cœur d’un inventaire après décès à Vignoc (35)

Au cours d’une récente visite aux archives départementales, j’ai découvert un acte notarié fort intéressant : l’inventaire après décès de mon aïeule, Marguerite Richard, décédée en 1859 à Vignoc (35). J’ai décidé de mettre en avant les informations récoltées par le biais de ce document dans un article de #RDVAncestral. Ce challenge à la frontière entre écriture, généalogie a pour principe une rencontre fictionnelle avec un de ses ascendants.


J’arrive sur un chemin de terre, je suis un petit peu vaseux, il fait plutôt chaud pour un matin et je suis beaucoup trop couvert. Je lève la tête et je découvre que je suis en fait en pleine campagne bretonne. Je sais que je suis chez moi car les arbres sont des étêtés : je vois des ragosses, ces arbres-têtards du pays rennais un peu partout autour de moi. C’est bon signe, je ne me suis pas perdu trop loin, je ne suis pas en pays étranger.

Les tossards, gravure de Jean Frélaut, 1922, © Musée départemental breton de Quimper

Un gendarme à cheval d’une quarantaine d’année tout droit sorti de l’époque du Second Empire me demande si tout se passe bien :

-« Hé, petiot, besoin d’un coup de main ? » me lança-t-il d’un ton inquiet.

J’étais en effet complètement ailleurs, dans mes pensées, allongé dans le fossé humide, je ne devais pas donner l’air d’être très en forme, emmailloté dans ma laine crasseuse en pleine chaleur estivale. Je lui réponds que tout va bien physiquement mais que je suis un peu perdu. Il évoque la forte chaleur qui a sûrement causé un petit évanouissement de si bon matin et c’est ainsi qu’il me propose de monter dans la charrette qui le suit pour m’emmener jusqu’à la ferme la plus proche.

Derrière le gendarme se trouvait en effet une charrette avec deux hommes dont l’un âgé d’une quarantaine d’année lui aussi me semblait avoir l’air assez aisé. Ils se présentent tous deux rapidement, attendant que je leur réponde mon nom.

-« Me Grignon, notaire public de la commune d’Hédé » me dit l’homme aux vêtements élégants

-« Moi, c’est Isidore Bégueret, épicier à Hédé et toi, jeunot, tu viens d’où ?»

Je décline mon identité en leur indiquant que je suis un peu perturbé par la chaleur torrentielle de cet été chaud, et une fois à bord de la charrette, je demande d’abord où l’on est exactement. Le débitant de boissons m’indique alors qu’on se trouve sur le territoire de la commune de Vignoc, à quelques pas de la grande route allant de Saint-Malo à Rennes et du château de la Villouyère. Il m’informe aussi qu’il compte me déposer chez les Geffroy au lieu de Vauléon, tout près d’ici car il y a rendez-vous pour sept heures du matin pour faire un inventaire des biens de la communauté.

On arrive assez rapidement sur les lieux. Dans la cour, je devine au loin le bourg de Vignoc. Déjà beaucoup de monde sont sur place. C’est un homme tout de noir vêtu âgé d’une soixantaine d’année qui nous accueille. Le notaire l’appelle M. Geffroy, je comprends donc vite que ce cultivateur est le propriétaire et le veuf de la communauté.

AD35, 3P 5580, Vauléon sur le cadastre napoléonien de Vignoc : Jean était propriétaire des parcelles 624, 625 et 628

Le militaire que j’avais croisé vient me voir pour prendre de mes nouvelles, mais d’abord il ne manque pas de se présenter « Gendarme Ponsort de la brigade de Hédé pour vous servir ». Je lui dis que tout va bien mais que je ne sais pas trop ce que je fais dans ce coin d’Ille-et-Vilaine. Avant qu’il ne réponde je le questionnai tout de même et nous échangeons un peu :

-« Mais vous ne viendriez pas de Saint-Médard, votre nom me dit quelque chose ? »

-« Ah mais dame si, j’y suis né en 1819, comment vous me connaissez ? » me répondit-il

Je ne pouvais pas lui répondre la vérité. S’il apprenait que j’avais étudier l’entièreté de ce patronyme pour comprendre qu’ils étaient tous mes cousins puisque tous descendants de mon aïeul, Etienne Ponceau arrivé à Saint-Médard-sur-Ille au début du XVIIIe siècle, il m’aurait sûrement pris pour un fou. Donc, j’ai décidé de mentir un petit peu.

-« Ma grand-mère qui vient du P’tit-Staobin me parlait lorsque j’étais petit de ses cousins Ponsort de Saint-Médard, elle racontait même qu’ils étaient tous issus d’un franc-comtois arrivé dans le pays il y a près d’un siècle et demi. »

-« Oh mais c’est drôle ça : elle a raison, ta graounde-ma, le fameux paysan franc-comtois c’est mon arrière-grand-père. Passe donc la journée avec moi, cousin, je te ramènerai chez tes parents ce soir pour pas qu’ils ne s’inquiètent »

Ainsi adopté pour la journée par le gendarme Eugène Ponsort, mon lointain cousin, j’ai suivi les activités de Me Grignon autour de la famille Geffroy. Autour du vieux patriarche, je retrouvais pas moins de sept personnes dans la ferme de Vauléon. Un autre vieux monsieur était là, il venait d’arriver en compagnie d’une jeune fille de mon âge habillée en noir. J’ai compris que c’était le tuteur de la jeune fille de dix-sept ans qu’il appelait affectueusement P’tite Margot. Trois autres femmes portent également le deuil, sûrement les grandes sœurs de la petit Margot. Une est mariée, je lui donnerais entre vingt-cinq et vingt-huit ans et elle est semble porter la même alliance qu’un homme qui a au moins quarante ans.

Lorsque le notaire me présente à chacun des membres de la famille, je saisis que je suis en fait chez mes ancêtres, Jean Geffroy et Marguerite Richard et que si Marguerite est décédée depuis peu de temps, on est à l’été 1859 puisqu’elle est morte en avril 1859… Par contre une chose me perturbe : pourquoi sommes-nous à Vignoc, au Vauléon alors qu’elle est morte d’après moi, au Pront sur la même commune ? Je laisse passer cette interrogation et je laisse les choses se dérouler tout en écoutant attentivement.

Les jeunes femmes sont leurs filles : Yvonne, Jeanne Marie, Anne et Marguerite Julienne, âgées de dix-sept à vingt-sept ans. L’homme d’une quarantaine d’année est le mari d’Yvonne, François Duchesne et vieux monsieur qui accompagne la benjamine est le frère de Marguerite, Jean Richard.

C’est un certain M. François Denis qu’on écoutait religieusement qui avait été nommé expert pour attribuer une valeur à chacun des objets de la maison. Il a en fait été convenu qu’on commençait par examiner les biens situés à Vauléon puis qu’on irait ensuite voir ce qu’il y a au Pront. Je ne comprends pas tout exactement, mais le notaire m’aide un petit peu : la famille Geffroy a toujours vécu au Vauléon, c’est là que les petites sont nées mais ils ont aussi une propriété au Pront. C’est tout de même étrange, soit depuis peu, Marguerite et son mari, Jean ne semblaient plus vivre vraiment ensemble, soit ils alternaient entre leur maison au Pront et leur demeure au Vauléon… Jean Richard, le frère de la défunte, lui, vit bien au Pront. Jean, le veuf indique, quant à lui, demeurer aux lieux de Vauléon et du Pront tandis que sa fille, Anne, également mon ancêtre dit vivre seulement au Vauléon et la benjamine, Marguerite dit vivre seulement au Pront.

Ferme du Vauléon © Inventaire général, ADAGP

Toujours est-il que la prisée des biens meubles de la communauté commence par ce qu’il y se trouve au sein de la demeure du Vauléon. Il ne fait pas encore très jour dans la maison aux peu d’ouvertures, la pièce principale est donc éclairée grâce à un chandelier à résine. On retrouve un galettier, un trépied et une tournette rien d’étonnant dans une maison de paysans bretons amateurs de galettes et de crêpes. Près de la cheminée, on retrouve aussi un cuit-pommes, un soufflet ainsi qu’une harassoire. On a aussi des marmites, un chaudron, un passe-lait, une baratte, une huche ainsi qu’une petite table et une autre bien plus grande. Par contre, je ne vois qu’une seule chaise, sinon, il y a au moins quatre bancs.

Dans la maison du village de Vauléon, il y a aussi des meubles de rangements : une vieille maie, trois armoires, un banc-coffre, un vaisselier ainsi que quatre lits. Les pentes et rideaux des lits sont faits de serge verte pour la plupart, un seul a des rideaux en coton. Parmi la vaisselle, il y a deux plats en terre, trois assiettes, une assiette en airain, une casserole en cuivre, des cuillers, un entonnoir à saucisses et une poivrière.

Hachoir avec entonnoir à saucisse – Musée de Bretagne – CC-BY
Casserole – Musée de Bretagne – CC-BY

Parmi les instruments de travail, on une faux, des tenailles, un marteau, un bec de corbin, trois petits ciseaux, deux bèches, une tranche à guéret, deux tranches à terre, deux fourches en fer, deux hache, un broc et une barre de fer. On a aussi des faucilles à bois, deux faucilles à blé, un travouil et un panier.

Pince, Bec de corbin – Musée de Bretagne – CC-BY

La maison est aussi équipée au niveau du linge : le notaire et l’expert comptent quatre kilos d’étoupes mais aussi sept draps, six taies, deux nappes, deux coupons de toile, trois couvertures en fil, une serviette, quatre torchons et des chiffons. Etonnamment, on y retrouve uniquement les hardes à l’usage de Jean, le veuf mais aucun vêtement de sa femme… Pourtant, la maison comporte tout de même quatre lits.

Rouet – Musée de Bretagne – CC-BY

Au grenier de la maison, on retrouve un vieux bois de lit, cinq pots à laits, une soupière, une vieille poële, une vieille scie-longère et deux rouets pour filer. Par contre, au-dessus de l’étable, on a deux hectolitres et cinquante litres de blé noir, du froment ainsi que des planches de bois et une pelle en bois. Au sein même de l’étable de Vauléon, il y a deux vaches dont l’une se nomme Marton et une meule de pierres.

Champ de blé noir – Musée de Bretagne

Au cellier, il y a un vieux tarare, une batte ainsi qu’une cuve à lessive. Dans le jardin, il y a aussi une ruche d’abeilles et dans la cour, on retrouve deux charrettes, dont l’une a ses « gréements » et une brouette. La famille informe aussi qu’ils ont ensemencé du froment et du blé noir.

Tarare – Musée de Bretagne

            La prisée de tous les biens situés au Vauléon a pris toute la matinée : on a fini seulement à midi. J’ai donc déjeuner en compagnie de toute la famille et de mon nouvel ami, le gendarme Ponsort avant de partir en charrette à l’autre bout de la commune pour le lieu du Pront, où se situe l’autre demeure de la communauté Geffroy – Richard. Au village du Pront, la famille entoure de toute part la maison de Marguerite Richard et Jean Geffroy. Etrangement, la petite maison et son étable sont couvertes de tuiles, chose rare au nord de la Loire.

AD35, 3P 5580,le Pront sur le cadastre napoléonien de Vignoc : Jean était propriétaire de la parcelle 389

            Dans la maison du Pront, on a aussi un galettier, deux trépieds, un chandelier et une lanterne. Je compte deux grandes tables, une petite table et trois lits avec des rideaux en serge verte. On retrouve aussi une armoire à un battant, avec de la vaisselle (cuiller, louche, assiettes, terrine, casserole) ainsi qu’une maie, une deuxième armoire, un bassin d’airain, un passe-lait et un chaudron en fonte. Il y a aussi une scie, deux bèches, deux boucards, une faux montée, deux faucilles et une hache ainsi qu’une mauvaise meule en pierres. Seul le linge à l’usage personnelle de Marguerite est présent. On a aussi du fil écru, sept torchons, deux couvertures en fil, deux nappes, cinq taies et six draps.

          La grange, OSTADE Adriaen van, Musée des Beaux-Arts de Bretagne

Au grenier, il y a un hectolitre et vingt-cinq litres de blé noir ainsi qu’un vieux van, sept fléaux, une mesure à grain et une pelle à grain.

© ADAGP, Paris, 2017, Un cheval, Jean Frélaut

            On retrouve aussi un vieux cheval avec ses gréements, trois vaches (Noire, Belle Étoile et Bise) et une génisse dans l’écurie.

            Une charrue équipée traîne dans la cour à côté d’une charrette avec son équipement, civière et d’un poulain.

© ADAGP, Paris, 2017, La récolte des pommes de terre, Jean Frélaut

            Sur les terres, on retrouve ici aussi du blé noir et du froment mais également des pommes de terre, du lin et de l’avoine. Deux rouets ainsi que trois cents fagots traîneraient aussi dehors.

            A la fin de la journée, toute la famille signe. Je suis très étonné de voir ce vieux monsieur, simple paysan savoir écrire, mais en me penchant sur le papier, je découvre que sa signature reste très rudimentaire : il ne sait pas écrire mais sait tracer les lettres de son nom. Par contre, ses quatre filles signent extrêmement bien, pourtant, elles sont nées cinquante ans avant la loi Ferry ! J’ose demander à Anne, mon aïeule où elle a appris à écrire et elle m’indique que c’est Mlle Perrault, institutrice au bourg de Vignoc qui lui a fait l’instruction.

            Il est cinq heures du soir quand je quitte la famille Geffroy au Pront. Je me rappelle que c’est Eugène Ponsort qui me raccompagne sur le chemin mais la chaleur avoisinant les 30°C ce jour-là, je crois que je tombe dans les pommes… Je me réveille finalement cent soixante-quatre ans plus tard à quelques dizaines de kilomètres de là, chez moi, devant le cadastre napoléonien de Vignoc qui traine sur mon ordinateur. Mais une question persiste : Marguerite et Jean faisaient-ils vraiment non pas chambre à part mais maison à part ?

AD35, 4E 44 106, Minutes de Me Grignon, 1859 – Signature sur à la fin de l’inventaire après décès

4 réponses à “Un #RDVAncestral au cœur d’un inventaire après décès à Vignoc (35)”

  1. Je comprends maintenant ta recherche sur les ragosses 😉
    En tout cas, j’ai bien aimé l’insertion des noms anciens des villages et les quelques expressions d’ici 😀

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